Sujet: La paix du roi des fous [Maybeth] Dim 18 Juil - 15:30
[écrit en écoutant : *]
« Au royaume des affamés Je porte le masque du fou
Si tu cherches ma couronne Regarde bien, elle pend à mon cou
Mon corps est un navire de fer Qui te mènera loin de la fournaise
Au large la paix nous attend Avec sa belle épée toute d’argent
Au royaume des assoiffés Je prends les traits du prince
Que les naïfs placent d’eux même Leur gorge sous mes doigts.
Et jamais ne les touche Car ils m’appartiennent
Et ta vie N’est rien de plus. Qu’un songe. »
Je porte la clope à mes lèvres. Exhale les vapeurs bleutées. Sourire onctueux sous les volutes toxiques.
« Je… Putain, je comprends pas ! »
Un geste infime de ma part. L’homme crie. C’est sûr. Il y a plus bandant qu’un coup de talon dans des côtes déjà brisées. Et mes hommes n’y vont, généralement, pas de main morte. J’avance ma main avec nonchalance, et disperse sur son corps ensanglanté les cendres de ma cigarette. Trois petits coups. Soupir feint.
« Je suis le roi des fous, et toi, la raclure de fond de bordel. N’empiète pas sur mon commerce. N’essaie pas de voler mes filles. Ne les touche même pas. Et surtout…, je lui décoche un coup sec dans la mâchoire, de la pointe de ma chaussure. Gémissement. Je me penche, et murmure d’un ton enjoué : surtout, ne t’avise plus jamais d’en frapper une. » Mauvais pour le commerce. Une fille abimée, c’est la merde. Cela fait baisser la qualité de la marchandise toute entière. J’ai un rictus. Il s’agit avant tout d’une question d’image. Personne ne double la Spug.
« Putain, mec, c’est pas moi ! »
Je fronce le nez. Je n’aime pas les lâches.
« Relevez-le. »
J’observe mes hommes de main soulever cette loque, pour le plaquer sans ménagement contre les étagères emplies de livres. Cigarette. Le silence grésille d’un rougeoiement discret. Je m’approche, il se tasse. Ma lèvre supérieure se soulève en une moue ambiguë. L’éclat de mes dents blanches.
« Tu voulais prendre ma place. - Non… Non ! Je te jure que… - Vous. »
Mon index effleure le col de sa chemise de prisonnier. Sourire. Mon poing sur son estomac. La poigne de pierre de mes Araignées l’empêchent de se recroqueviller comme le mollusque qu’il est. Je murmure, d’un ton presque chantant : « Vouvoie-moi, connard. - D’ac… - Tu parles seulement quand je te pose une question. - Ou… - Je n’ai pas posé de question. »
J’éteins ma cigarette. Sur son épaule. Cette fois-ci, il hurle. J’attends patiemment que ses yeux clairs reviennent à moi.
« Dis la vérité. Tu t’en sortiras peut-être. Compris ? - Oui. - Bien, fais-je d’une voix douce. Tu essaie de monter ton propre réseau. - O… Oui. - Et pour ce faire, tu tentes de convertir mes filles. De les faire changer de camp. Je formule mes mots avec une délicatesse très empruntée. Je voudrais séduire une femme que je ne m’y prendrais pas autrement. - C’est… c’est vrai… mais je voulais pas, je savais pas que… - Ferme-là, ou je te coupe la langue. - … - Et quand tu t’es aperçu, misérable petite chose, qu’elle refusait de trahir la Spug, de me trahir, tu l’as battue. - … - Avoue, mon grand… c’était bon, hein ? - Je… - Tu t’es bien défoulé, tu as peut-être même bandé. Avoue… - Je… Je l’ai frappée, oui, mais… »
Je lance deux mots en japonais. Dans la seconde, cette enflure est bâillonnée, entravée, tabassée.
« Emmenez-le dans les douches. Mon ton est polaire, mon visage, d’une terrible neutralité. Et brisez-lui les deux jambes.
***
Je suis seul. Ma réserve de sucre est épuisée. Je me suis senti un peu trop faible pour gambader dans les couloirs à la recherche de mon prochain débiteur. Je suis fatigué, et la tête me tourne. Et cela, personne ne doit le voir. Je suis Cookie, et la force de mes Araignées, l’efficacité de mes Sucres, et la stabilité de la Spug, reposent sur l’inflexibilité de mes épaules.
Assis devant une table de lecture, jambes croisées, j’observe les rayons chargés d’ouvrages. Il fait chaud. Trop. Je sens une perle de sueur courir de mon sternum à mon nombril. La nuit est la bienvenue, et sa fraîcheur calmera les ardeurs des prisonniers. Ces locaux de pierre et d’ombre gardent trop bien la chaleur. Et cette chaleur nourrit trop facilement le feu des insurrections.
J’allume une autre cigarette. Je pose mon inhalateur devant moi. Au cas où.
Les yeux clos, je profite de cette solitude volée. En tant que chef d’organisation, ma tête est très prisée par tous ces petits charognards d’arrivistes. Menus louveteaux aux dents de lait trop longues, qui voudraient bien me couper les jambes. Je ne m’aventure que très rarement hors de ma cellule sans gardes du corps.
Je profite.
Eclat noir sous mes paupières à demi baissées. Les livres, encore. Me narguent. Je fronce le nez, inspire un peu de nicotine. Mes doigts, et le contact familier de l’inhalateur dont j’abuse, histoire de pouvoir fumer sans me taper de crise.
Je me lève avec une forme de brusquerie qui ne me ressemble guère. M’appuie d’une épaule contre l’étagère, extrais un livre au hasard.
Je l’ouvre, le feuillette. Reviens à la table, et le pose, bien à plat, ouvert. Le visage dans une main, j'en regarde les pages sans les comprendre. Je ne sais pas lire les caractères latins.
Maybeth Greene 9130 Propriété de Jeffie-chou
Messages : 1597 Date d'inscription : 13/01/2010 Age : 34 Localisation : Québec
Sujet: Re: La paix du roi des fous [Maybeth] Jeu 5 Aoû - 9:46
J’avais évité la bibliothèque depuis mon arrivée. Je savais que dans l’ancienne prison, c’était le lieu privilégié par mon frère. Il y passait le plus clair de son temps. À l’époque, j’essayais de le voir le plus souvent possible, pour provoquer ses réactions, ses paroles. Je voulais le comprendre, l’étudier, trouver son problème et le lui trouver. Mais je n’ai pas réussi. Maintenant, alors qu’il ne sait pas encore que je suis là – ça me parait improbable mais pourtant, je n’ai pas encore entendu parler de lui – j’essaie de l’éviter le plus possible. Je suis retombée dans les mêmes petits manèges que pendant tout ma jeunesse. Je tourne les coins de mur avec une prudence superflue. Mon cœur s’arrête dès qu’une ombre passe près de moi. Bien sûr, la nouvelle Maybeth veut que cela ne paraisse pas, et elle y parvient. Mais au fond je suis terrifiée. Le sang froid que j’affecte est d’une fausseté épuisante. Il me semble que si je me croisais, je ne me laisserais pas berner par cette façade de calme. Mais les gens semblent considérer que je me porte bien. C’est ce qui compte, j’imagine.
Aujourd’hui je n’ai pas le choix. Je dois passer à la bibliothèque pour des recherches, pour le travail. J’ai une ancienne connaissance de l’université qui veut que je l’aide à distance pour un cas de schizophrénie. Je n’ai pas basé mon expertise sur le sujet et je dois en avoir rencontré un seul cas dans toute ma carrière à Sadismus, mais j’ai quelques connaissances qui peuvent s’avérer pratiques. Malheureusement, mes notes de l’époque ont flambé et je me retrouve devant rien du tout.
Selon ce qu’il me dit, il serait face à un choc post-traumatique. Son patient aurait été, il y a de cela de nombreuses années, enfermé à Sadismus par erreur judiciaire. Il n’y a passé que quelques mois mais ceux-ci ont suffit à le bousiller de l’intérieur. Je l’imagine très bien. Les gens innocents, ici, ne font pas long feu. Les autres prisonniers devinent tout de suite leur faiblesse et en abusent. Même moi j’ai cru ne pas survivre à ma première semaine de travail ici. Il faut dire que j’étais beaucoup moins stable à l’époque. Mais ma faiblesse a été compensée par ma générosité envers les prisonniers. Ils ont tout de suite senti que je n’étais pas comme la majorité des employés, que je ne leur voulais rien d’autre que du bien, et ils m’ont adoptée comme l’une des leurs. C’est la même chose qui se produit maintenant. J’ai repris ma place auprès des habitants de cette prison. Pour les détenus et pour les gardiens, je suis une personne de confiance. Rien ne sort de mon bureau ou de ma tête, je les écoute parce qu’ils en ont besoin. Moi aussi j’en ai besoin.
En parcourant les tablettes, je déniche quelques ouvrages sur les causes possibles qui pourraient déclencher un cas de schizophrénie. Il y a des facteurs génétiques, certes, qui prédisposent. Mais apparemment que le patient de mon collègue n’était pas prédestiné à ce sort. Il n’est pas jeune. Une schizophrénie congénitale se déclenche généralement vers l’adolescence, ou au début de l’âge adulte. Pour moi c’est clair. C’est la prison le déclencheur. Mais si moi je me fie à mon instinct uniquement, mon collègue, lui, veut des preuves théoriques. Il commence dans le métier. Il finira par apprendre à se fier à ses émotions, à celles de ses patients. Bien sûr, lui, il apprendra aussi à les mettre de côté, à ne pas absorber ce que les malades lui transmettent. Moi, je ne l’ai jamais appris. Je fais mienne la douleur des gens qui m’approchent. Ça me permet de mieux comprendre les problèmes qui me sont amenés.
Je m’assieds à une table occupée. Il n’y a qu’une personne, mais la table est quand même assez grande. Je m’installe trois chaises plus loin. Normalement je m’installerais de l’autre côté, mais celui-ci est collé contre un mur. J’étale mes volumes devant moi. J’en prends un premier, parcours du doigt la table des matières. Rien ne me semble pertinent. Je rejette le livre un peu plus loin, en attaque un second. Déjà, il me parait plus intéressant, plus approprié à mon problème. Un chapitre en particulier m’interpelle, mais après une lecture en survol de celui-ci, je me rends compte que le titre du dit chapitre et sa description étaient vraiment surfaits. Je pousse un soupire. Les grands experts ont rarement attaqué le genre de cas auxquels on est confrontés dans la réalité de notre bureau. J’effeuille un autre livre, rien de plus intéressant. Je le rejette aussi, appuie mon menton dans ma main et soupire encore. Je fixe le mur un instant, puis regarde un peu autour de moi. J’aime faire de la recherche. Mais j’aime en faire et obtenir des résultats. Ce qui n’est visiblement pas le cas en ce moment. Mentalement, j’énumère les catégories de volumes de psychologie qui pourraient m’éclairer. Peut-être des bouquins sur le milieu carcéral … Je m’étire et, en me levant, remarque vraiment la personne qui est près de moi. Je ne l’ai jamais rencontré dans une séance, mais je reconnais son visage. Spontanément, je me mets à lui parler.
-Imaginez que vous ayez été enfermé ici par erreur. Vous n’avez pas l’âme d’un criminel, ni la force. Après un mois, on vous relâche. D’après ce que vous voyez tout les jours, en tant que détenu, que pensez-vous qu’il arriverait à votre santé mentale ? Vous ne seriez probablement plus le même …
Je ne le dérange pas dans sa lecture. Il n’a pas tourné une page depuis tout à l’heure.
La paix du roi des fous [Maybeth]
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